L’Assemblée nationale a voté en première lecture la création d’un impôt sur la fortune improductive. Ce texte, qui élargit l’IFI aux placements jugés « peu utiles à l’économie », relance le débat sur la fiscalité de l’épargne et l’avenir du fonds en euros.
Un élargissement inédit de l’assiette patrimoniale
À l’issue de la session budgétaire de fin octobre 2025, l’amendement transformant l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI) en « impôt sur la fortune improductive » a été adopté à l’Assemblée nationale. Le texte, porté par Jean‑Paul Matteï (MoDem) et amendé par Philippe Brun (PS), a recueilli 163 voix contre 150, grâce à une coalition atypique réunissant MoDem, PS, RN et LIOT. L’idée : remplacer un impôt ciblé sur l’immobilier par un dispositif plus large, visant les « actifs jugés non productifs ». Tels que les biens immobiliers non loués, les crypto‐actifs, les métaux précieux, les objets de valeur… et, surtout, les fonds en euros des contrats d’assurance-vie.Par ailleurs, le texte distingue les biens « productifs ». Par exemple les logements loués durablement qui pourraient être exclus de l’assiette.
Des modalités simplifiées mais symboliques
Le dispositif introduit plusieurs modifications majeures :
- Le seuil d’imposition reste fixé à 1,3 million d’euros de patrimoine net taxable, comme pour l’ancien IFI.
- Le barème progressif (0,5 % à 1,5 %) est remplacé par un taux unique de 1 % sur la fraction du patrimoine dépassant ce seuil.
- Un abattement fixe de 1 million d’euros est instauré pour la résidence principale (ou un bien au choix du foyer), en remplacement de l’abattement proportionnel de 30 %.
- L’assiette est élargie à des actifs jusque-là exclu(e)s : notamment les fonds en euros, qui ne mènent pas à un investissement productif selon l’esprit de l’amendement.
- En somme, l’État entend taxer davantage ce qu’il qualifie de fortune « dormante », tout en favorisant la mise en circulation de capitaux vers l’économie.
L’assurance-vie en première ligne
Le fonds en euros, pilier historique remis en question
Le support « fonds en euros » est massivement détenu par les Français : avec environ 1 400 milliards d’euros d’encours, il constitue un pilier de l’épargne réglementée et sécurisée. Même s’il s’agit le plus souvent d’une stratégie de précaution, le législateur l’inclus désormais dans la visée de l’impôt.
Pourquoi ce choix ? Parce que, de l’avis des rapporteurs, il s’agit d’épargne qui ne finance pas directement l’économie des entreprises. Le fonds en euros est majoritairement investi en obligations d’État ou d’entreprises, avec une part réduite d’actions, ce qui selon eux correspond à une logique « peu productive ».
En conséquence, l’intégration de ces supports dans l’assiette marque une rupture symbolique : l’assurance-vie ne sera plus systématiquement perçue comme un refuge fiscal exempté.
Les assureurs tirent le signal d’alarme : taxer massivement les fonds en euros pourrait affaiblir l’un des principaux véhicules d’épargne française, avec des effets en chaîne sur le financement obligataire, la transmission de patrimoine, voire la stabilité financière.
Parallèlement, de nombreux épargnants portent un regard attentif : la taxation annoncée fragilise l’avantage fiscal historique et incite à reconsidérer la logique de placement « tranquille ». Il est probable que certains arbitrages vont s’opérer.
En effet, plusieurs observateurs estiment que les très grandes fortunes pourraient anticiper la mesure en réorientant leurs avoirs vers des supports non visés (unités de compte, actions, participations). L’impact pour l’économie dépendra donc davantage des comportements des redevables que du simple chiffre de recettes attendues.
Une mesure dans la continuité historique
De l’ISF à l’IFI : trois décennies de fiscalité patrimoniale
De 1989 à 2017, l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) taxait l’ensemble du patrimoine (immobilier + financier). La réforme de 2018 a opté pour la mise en place de l’IFI, ciblant uniquement l’immobilier, dans une logique d’attractivité et de redéploiement vers l’investissement. Le projet actuel constitue donc un recul partiel de la logique IFI : il ne revient pas à l’ISF (les actions restent exclues), mais réintègre certains actifs financiers dans la boucle fiscale.
Une exception française sur la scène européenne
Dans la plupart des pays européens, l’impôt annuel sur la fortune décline ou a été supprimé (Allemagne, Suède, Danemark…). Il subsiste toutefois dans des États comme la Suisse, la Norvège ou l’Espagne dans des formats variés. La France fait ainsi figure d’exception en décidant de relancer explicitement une taxation patrimoniale élargie, dans un contexte où l’attractivité fiscale est mise à l’épreuve.
Un rendement fiscal incertain et des risques d’évasion
Des recettes difficiles à anticiper
Les promoteurs du texte évoquent jusqu’à 3 milliards d’euros de recettes additionnelles par an par rapport à l’IFI actuel. maformationimmo.fr+1
En revanche, les services du ministère des Finances restent beaucoup plus prudents, voire sceptiques. Plusieurs articles de presse évoquent des scénarios de rendement très inférieurs à ces montants, compte tenu des effets d’anticipation et d’évitement possibles.
Les contribuables concernés pourraient engager un certain nombre d’actions :
- arbitrage vers des unités de compte ou actions non visées ;
- domiciliation ou restructuration patrimoniale à l’étranger ;
- création de holdings considérées comme « productives » pour limiter l’assiette.
- Ces comportements, déjà observés sous l’ISF, pourraient fortement réduire l’assiette effective.
- Par ailleurs, la migration d’une partie de l’épargne hors fonds en euros pourrait avoir des impacts macro-économiques, notamment sur le coût de financement des entreprises et l’équilibre du marché obligataire.
Un processus politique encore incertain
L’amendement validé à l’Assemblée doit encore passer par le Sénat et revenir à l’Assemblée (navette Assemblée → Sénat → Assemblée) avant adoption définitive. Le Sénat, à majorité de droite, pourrait considérablement modifier ou même supprimer la disposition.
Chaque étape pourrait revoir la définition de l’assiette, les seuils, les exonérations, et donc modifier l’impact pour les contribuables concernés.
Bien que l’amendement soit adopté à l’Assemblée, le gouvernement n’en était pas l’initiateur officiel. Il pourrait décider en lecture finale de retirer ou d’amender fortement la mesure, notamment via l’article 49.3 de la Constitution. Des études d’impact complémentaires sont attendues avant mise en œuvre.
Si le texte est voté, le Conseil constitutionnel pourrait être saisi, notamment sur la notion de « fortune improductive », jugée potentiellement floue, et sur le principe d’égalité devant l’impôt. Ces incertitudes renforcent l’idée que la mise en œuvre effective du texte n’est pas assurée avant mi-2026.6. L’impact sur les épargnants et les conseillers
Pour les investisseurs fortunés, cette réforme impose une révision stratégique de l’allocation d’actifs : ne plus tabler uniquement sur la sécurité, mais sur la productivité fiscale.
Pour les conseillers en gestion de patrimoine, la logique « actif productif / actif improductif » devient un critère incontournable. Il s’agit désormais de privilégier les supports alignés avec la finalité économique. Pour les épargnants plus modestes, l’effet est avant tout symbolique : l’assurance-vie fonds en euros est dans la ligne de mire, ce qui modifie le cadre de l’épargne ‘‘tranquille’’. Une vigilance accrue s’impose.
Ce que cela change pour les investisseurs selon notre compréhension des textes à ce jour
Startup/PME en direct (equity, club-deal/venture) : probablement “productif”
Le texte vise les fonds en euros et placements « non investis ». À l’inverse, les participations directes dans des sociétés (actions non cotées) relèvent clairement de l’économie réelle, et semblent alignées avec la catégorie « productif ».
Pour un investisseur Anaxago, les tickets equity via club-deal ou crowdfunding pour startup/PME apparaissent comme hors assiette dans l’esprit du dispositif.
- Immobilier loué durablement (locatif, exploitation) : logique « productif », exclusion probable de l’assiette.
- Immobilier non loué, vacant ou en portage : logique « improductif », risque d’inclusion.
- L’investisseur devra documenter l’usage et la durée d’exploitation pour qualifier la nature « productive » de l’actif.
Immobilier en dette privée (obligations/mini-bons) : zone à surveiller
La catégorie “placements financiers assimilés” reste floue. Si la dette finance un actif exploité, elle pourrait passer pour « productive ». En l’absence de clarification, un traitement prudent s’impose.
Assurance-vie – fonds en euros vs unités de compte (UC)
- Fonds en euros : cible explicite de la réforme → hausse du risque d’assiette.
- UC : exclues, alignées avec la logique investissement/économie → moins de risque.
Ces actifs sont explicitement cités parmi les “improductifs” visés. Pour un investisseur, leur détention augmente le risque d’être assujetti.In fine, un signal politique avant tout
Le projet d’« impôt sur la fortune improductive » ne constitue pas une simple évolution technique : c’est un changement de paradigme. L’épargne des plus riches doit désormais répondre à un critère supplémentaire : la productivité économique. Sa réussite dépendra de l’équilibre entre justice fiscale et attractivité nationale. Pour les investisseurs, l’heure est à l’anticipation et à la réorganisation patrimoniale. Pour l’État, l’heure est au pari que cette nouvelle taxation incitera réellement à l’investissement productif plutôt qu’à l’optimisation. Le temps de l’épargne « tranquille » s’éloigne : mieux vaut être prêt.
Résumé des impacts selon notre compréhension au 5 novembre 2025
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Typologie d’investissement Anaxago
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Statut “productif” pressenti
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Risque d’assiette “improductive”
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Points à documenter |
|---|---|---|---|
| Startup/PME (equity) |
Oui (exclu)
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Faible | Confirmation par texte final/BOFiP, mais cohérence avec exclusion des UC et la finalité “économie réelle”. (Sénat) |
| Immo – equity (actif loué long terme) |
Plutôt oui
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Modéré | Définition légale de “productif” (nature du bail, durée), maintien de la transparence sur titres immo. (Capital) |
| Immo – equity (vacant/portage) |
Plutôt non
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Élevé | Transparence look-through + caractère “improductif”. (impots.gouv.fr) |
| Immo – dette privée (obligataire) |
Zone grise
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Modéré/variable | Portée exacte de “placements financiers assimilés” ; besoin de doctrine fiscale. (Sénat) |
| Assurance-vie – fonds en euros |
Non
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Élevé (cible)
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Cible textuelle explicite. (Sénat) |
| Assurance-vie – UC |
Oui
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Faible | Exclusion textuelle. (Sénat) |
| Crypto-actifs |
Non
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Élevé (cible)
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Ajout explicite aux actifs “improductifs”. (Sénat) |