L’immobilier est une industrie qui a connu une financiarisation croissante ces trente dernières années...
Alors que la valeur au mètre carré reste l’alpha et l'oméga du côté des acquéreurs particuliers et dans le logement, les investisseurs raisonnent eux en taux de capitalisation, à savoir le rendement d’un actif (loyer / prix acte en main). Quand les taux directeurs augmentent, entraînant la hausse des coûts de financement et des taux des obligations souveraines réputées sans risque, les investisseurs augmentent leurs attentes de rendement et donc à loyer constant ce sont les valeurs qui … Par ailleurs, avec des investisseurs et ménages de plus en plus endettés, la macroéconomie commence à s’inviter dans le monde de l’immobilier.
Revenons ici sur la dynamique sous-jacente pour mieux aborder les risques et opportunités liés à la hausse des taux. Le contexte macroéconomique actuel, marqué par une forte inflation post-Covid exacerbée depuis février par la guerre en Ukraine, se traduit par un retour des banques centrales à la manœuvre.
La réserve fédérale américaine a tiré la première, augmentant ses taux directeurs de 0% à 4,75% depuis 2022. La BCE n’est pas en reste. Alors qu’au premier juillet les taux étaient encore en territoire négatifs, ce sont 6 hausses consécutives en 9 mois qui ont porté les taux directeurs de la BCE à plus de 3%. Mécaniquement, les taux longs se tendent par effet de capillarité : autour 3% pour le taux de rendement de l’OAT 10 ans qui était encore proche de 0% en début d’année.
L’impact de ces hausses de taux spectaculaires sur l’immobilier a été net, en particulier sur l’immobilier de bureaux et de logistique -les segments qui avaient le moins souffert de la crise du Covid-19-, avec des corrections de prix pour les actifs les moins prime via une hausse des taux de capitalisation.
Les facteurs économiques à fin 2022 ont complètement changé par rapport à 2021 : l’inflation est passée, en France, de 2,8% à 5,9% et le PIB de 5,4% à 0,3%. Si l’inflation est favorable au marché immobilier, via le mécanisme d’indexation des loyers, le ralentissement économique lui est défavorable par la vacance qu’elle peut amplifier ou les difficultés de financement des acquéreurs.
Dans ce contexte marqué par la macroéconomie, revenons sur l'événement qui a surement le plus impacté l’immobilier français : la hausse des taux directeurs de la BCE.
L’année 2022 s’est clôturée sur un mouvement massif de hausse des taux ayant eu de nombreux impacts, un mouvement poursuivie au premier trimestre 2023. La BCE est passée d’une politique monétaire accommodante durant près de 10 ans à une séquence de hausse massive des taux directeurs.
1 Source : site des données européennes (https://sdw.ecb.europa.eu/) 2 Hypothèse d’une marge bancaire de 2,50% / an.
Dans la lignée de cette hausse des taux directeurs, les taux de refinancement bancaire (EURIBOR) et les taux des obligations d’Etat françaises ont connu les mêmes trajectoires. L’occasion de revenir sur le rôle de l’EURIBOR et de l’OAT dans le marché immobilier pour mieux identifier les conséquences de la hausse des taux et mieux scénariser le futur.
L’EURIBOR, le nerf de la guerre pour les opérateurs immobiliers D’un côté l’EURIBOR représente le coût de l’argent pour les établissements bancaires. Une banque prêtera le plus souvent aux professionnels immobiliers à taux variable, c’est-à-dire à EURIBOR auquel vient s’ajouter la marge de l’établissement (entre 200 et 350 points de base) pour les activités de réhabilitation, de promotion ou de marchand de biens. Le principe reste le même pour les emprunts à taux fixe, sauf dans le cas où c’est la banque qui prend le risque de hausse des taux.
Concrètement, les opérations immobilières montées avec des emprunts à taux variable ont vu leur coût du financement augmenter de 300 points de base passant de 2,50%2 à 5,50% par an.
Exemple d’impact sur un programme de promotion immobilière
Pour mieux comprendre l’impact sur les marges des promoteurs et marchands de biens, un rapide exemple : un projet financé à 60% par crédit bancaire, présentant un prix de revient de 10M€ avec une marge prévisionnelle d’1M€ voit le coût du financement augmenter d’environ 350 points de base sur un an. Ainsi le financement passe de 2,50% à 6%, soit sur un an 210K€ correspondant à 21% de la marge toute chose égale par ailleurs.
La hausse des taux bancaires vient donc contraindre les budgets des opérations. Pour les promoteurs, marchands de biens comme pour les fonds value-add, le renchérissement des coûts de financement (en plus de la hausse des prix des matières premières) implique une renégociation des prix d’acquisition des fonciers pour permettre la réalisation des opérations.
Les opérateurs les plus endettés vont donc faire face à des difficultés, du fait de la hausse des coûts bancaires et de la difficulté à réaliser les marges attendues. Il en va de même côté particuliers, la hausse des taux bancaires a entraîné une perte de pouvoir d’achat soudaine. On estime à près de 14% la perte de pouvoir d’achat immobilier au premier trimestre 2023 et des transactions à l’arrêt dans le neuf et les ventes d’immobilier défiscalisant.
Le mouvement sera à continuer d’observer de près en 2023.
Les primes de risque : la grande inconnue
Les investisseurs professionnels ont pour réflexe de comparer les classes d’actifs en fonction de leur « prime de risque ». Cette prime de risque correspond à la différence entre le rendement d’un investissement sur une typologie donnée et le taux sans risque. En France, le taux sans risque correspond au taux des obligations émises par le Trésor à 10 ans.
Dans la lignée des hausses du taux directeur, les obligations françaises (OAT 10 ans) ont suivi une hausse fulgurante ces 9 derniers mois passant de 0,20% à près de 3% en mars 20223.
Ce phénomène est venu bousculer les repères des investisseurs, puisque les transactions engagées au premier trimestre 2021 se sont faites sur des valeurs « du monde d’avant ».
Toutefois lorsque nous comparons les rendements immobiliers avec des obligations indexées sur l’inflation (OATi) les primes de risque restent significatives plaidant pour une moins forte hausse des taux.
3 Certains investisseurs utilisent la notion d’OATi faisant référence aux obligations indexées sur l’inflation émises par le trésor. Cette notion donne une lecture plus juste de la prime de risque puisque les rendements immobiliers étant fortement indexés à l’inflation via l’indexation des loyers, elle permet de prendre en compte un taux « sans risque » intégrant les effets de l’inflation.
Dans ce contexte, nous assistons à une décompression lente des taux de capitalisation4 mais surtout à une baisse des volumes.
Alors que les primes de risques étaient historiquement élevées pour l’immobilier de bureaux prime français, atteignant jusqu’à 320 points de base en 2021 contre une moyenne historique à 170 points de base, l’immobilier a attiré d’importants capitaux face à une telle attractivité. Aujourd’hui ces primes de risque rendant l’immobilier « bon marché » par rapport aux autres classes d’actifs ont joué le rôle d’amortisseur dans la folle remontée des taux.
Sur le marché des bureaux physiques dans le quartier central des affaires parisien (Paris QCA), celui dont les prix ont le mieux résisté depuis le début de l’année, la prime de risque entre le taux de capitalisation des actifs « Prime » et l’OAT 10 ans s’est effondrée, passant de 270 pbs5 fin 2021 à seulement 25 pbs en fin d’année 2022.
En 2022, on constate que taux de capitalisation des bureaux Prime Paris QCA a décalé de « seulement » 55 points de base sur l’année, passant de 2,7% à près de 3,25% d’après les dernières études des grands brokers présents sur le territoire. Nous ne pouvons que constater que cette hausse est très loin de refléter la hausse des taux de 300 points de base constatée au niveau de l’OAT.
Si la tentation est grande de conclure, que l’immobilier est survalorisé et qu’une hausse des rendements de 240 points de base (0,806 x 300 pbs) devrait intervenir pour respecter le maintien des primes de risque, c’est faire l’impasse sur un grand nombre de paramètres.
En effet, l’année 2022 et les chiffres du premier trimestres font état d’une forme d’attentisme de la part des investisseurs institutionnels. Un attentisme qui trouve sa source dans le manque de visibilité sur l’évolution économique (inflation, taux directeur, croissance) mais également dans une difficulté à valoriser justement les actifs.
C’est notamment dans ce cadre que nous avons pu constater le fort repli des investissements sur la classe d’actif phare, le bureau en Ile-de-France avec 10,4 Mds investis en 2022 contre plus du double en 2019.
En clair, le paradigme a grandement changé et les investisseurs sont en perte de repères. En effet, en ce début 2023, les actifs « dé-risqués » rapportent désormais, hors prise en compte de l’inflation, quasiment autant que les actifs immobiliers les plus prime (bureaux ou logements). Mais pour mieux identifier ce phénomène il convient de prendre en compte de plus nombreux facteurs dont un phénomène central : l’inflation.
Une inflation qui change la donne
La France sort de plus de 34 ans de faible inflation. Il faut remonter à 1985 pour retrouver un une inflation supérieure à 5%. C’est cette nouvelle donne qui risque de venir bouleverser l’équation assez simple qui visait à indexer les rendements immobiliers sur les taux sans risque.
4 Le taux de capitalisation correspond au rendement attendu par un investisseur pour un actif donné il se calcule en divisant le loyer par le prix de l’actif acte en main.
5 Points de base : 1 point de base = 0,01%.
6 Il est communément admis par les professionnels de l’immobilier lorsque le taux sans risque évolue de 100 points de base, les taux de capitalisation sont impactés d’un facteur 0,8.
Les loyers immobiliers français présentent une caractéristique : l’évolution des indices immobiliers (ILC, ILAT, IRL) est calculée à partir de l’indice des prix des biens et services. Les loyers suivent donc historiquement presque parfaitement les courbes de l’inflation (cf le graphique ci-dessous issu de l’Insee).
En conséquence, avec une OAT qui s’envole à près de 3% par an, mais une inflation à plus de 5% en 2022 et projetée à 3% en 2023, les taux réels restent nuls pour les obligations d’Etat. Donc à la différence d’un placement obligataire souverain, l’immobilier présente un avantage significatif en période d’inflation puisque nous pouvons considérer que l’investissement est un rempart à la hausse des prix et se comporte donc comme une obligation indexée sur l’inflation. Donc davantage d’inflation signifie davantage de rendement pour les investisseurs immobiliers.
L’immobilier est un des rares actifs, avec les obligations indexées sur l’inflation (OATi) à disposer d’une couverture explicite contre l’inflation.
En conséquence, le maintien des valeurs dans l’immobilier de bureau et de manière générale dans les actifs ayant le moins été impacté par la hausse des taux peut être expliqué par les anticipations d’indexation des loyers à la prime de risque faciale.
D’un point de vue microéconomique, très peu d’acteurs ont intérêt à arbitrer un actif immobilier avec une perte de 5, 10 ou 20% encore moins lorsque l’on sait que les effets d’indexation des loyers vont venir compenser tout ou partie de cette perte compte tenu des niveaux d’inflation attendus.
À titre d’exemple, en un an l’ILAT (l’Indice des Loyers des Activités Tertiaires) a augmenté de plus de 6,5% en 12 mois entre le T4 2021 et le T4 2022.
Un actif générant 1 Millions d’euros de loyers annuels a donc vu sa valeur s’apprécier, toute chose égale par ailleurs de 6,5% sur un an. Soit à un taux de capitalisation de 3%, la valeur vénale de l’actif est passée de 33,3M€ à 35,5M€.
En conséquence, une hausse de 20 points de base du taux de capitalisation passant de 3% à 3,20% impliquerait un maintien des prix. Si l’inflation et l’indexation était identique l’année suivante, le taux de capitalisation pourrait passer à 3,40% sans que la valeur de l’actif soit impactée. C’est ce mécanisme qu’il convient de prendre en compte pour identifier les risques de décorrélation entre hausse des taux sans risque et hausse des taux de capitalisation.
En conséquence, les primes de risque implicites prenant en compte les indexations de loyers, sont donc assez proches de la réalité économique historique.
Il faut toutefois noter que dans le contexte social et économique actuel, la capacité des propriétaires à répercuter les hausses des loyers aux locataires est à considérer avec prudence. Si cela ne devrait pas poser de problème pour les actifs les mieux situés, il n’en n’est pas de même dans les zones moins tendues ou pour les actifs loués aux locataires les plus fragiles.
C’est d’ailleurs ce phénomène qu’est venu encadrer le gouvernement en 2022 pour protéger les PME les plus fragiles et caper la hausse de l’indice de référence des loyers dans un contexte social déjà complexe.